Les puristes conseillent de ne visiter un musée que pour deux ou trois œuvres dont on sait qu’elles s’y trouvent. Et de snober toutes les autres en attendant de tomber sur celle qu’on cherche.
C’est compter sans le hasard. Sans l’émerveillement de l’œil, le choc d’un tableau croisé au détour d’une salle à priori anodine. La galerie des collections permanentes de Beaubourg est ainsi faite qu’elle entrecroise dans un même champ de vision des œuvres très différentes et l’on peut s’amuser à passer de l’une à l’autre au gré des regards perdus. Je crois traverser un couloir sans intérêt pour rejoindre un tableau connu (dont je ne me souviens plus, pour le coup !), quand quelque chose arrête mon pas, à ma droite.
Une immense toile noire, entièrement noire, d’un noir pur, intense, fabuleux. Je m’arrête, béate, surprise, happée. Un rapide coup d’œil sur le petit carton m’informe qu’il s’agit d’un monochrome de Soulages. Tétanisée, je reste debout, à quelques mètres de la toile qui m’absorbe littéralement dans ce noir subjuguant. Et pourtant, ce n’est « que » du noir.
Mais quel noir ! Il est presque lumineux. De ces noirs qui irradient une sorte de lumière venue de nulle part, quelque chose d’infini qui sourd d’entre les rais parallèles tracés au grattoir dans la matière. Il n’y a pas l’ombre d’un reflet de projecteur, pas une once de blanc, ni d’aucune couleur. Que du noir. Et pourtant une incompréhensible sensation de lumière inonde l’ensemble.
Du coin de l’œil, je perçois le mouvement du gardien de la salle qui s’apprêtait à traverser entre Soulages et moi et qui s’est ravisé en me voyant. Nos regards se croisent, une fraction de seconde, il sourit et me contourne afin de ne pas perturber ma contemplation. Je suis seule dans la salle ; le monochrome noir de Soulages attire beaucoup moins que le bleu de Klein…
Dix minutes plus tard, le gardien reparaît, faisant sa ronde en sens inverse. Je n’ai pas bougé. Et il sourit à nouveau, de cet air complice et comblé des personnes qui se découvrent un préféré commun.
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