[Braconnages] Poèmes à la nuit / Rainer Maria RILKE

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Les braconnages sont des phrases tirées de mes lectures, pas forcément représentatives du livre, mais plutôt celles qui m’ont interpellées soit par le sens et la réflexion qu’elles ont provoquées chez moi, soit par la forme particulièrement réussie et la manière de dire. 

Rainer Maria Rilke est un poète et écrivain allemand que j’ai découvert à travers Les Carnets de Malte Laurids Brigg. Les Poèmes à la nuit figurent parmi ses plus célèbres vers. Je les ai chez moi dans une vieille version bilingue, franco-allemande, une langue que j’ai apprise au collège et que j’apprécie toujours en poésie ou à l’opéra.

Ange, est-ce une plainte ? Ai-je l'air de me plaindre ?
Mais que serait-elle donc, cette plainte mienne ?
Non, non : je crie, je frappe deux morceaux de bois l'un contre l'autre
Et je n'ai pas le sentiment d'être entendu.
J'ai beau faire du bruit, tu ne m'en entendras pas mieux :
Ne me sentirais-tu pas rien que parce que je suis ?
Envoie, envoie ta lumière ! Fais que les étoiles me considèrent
davantage. Car je suis en train de me dissoudre.
Qu'il soit qui vous voulez. Comme la veilleuse plaintive
dans le manteau de la lampe, je me loge tout au fond de lui.
Une clarté s'apaise. Ainsi la mort
trouverait son chemin avec plus de pureté.
Le rêve est la traîne de brocart qui tombe de tes épaules
le rêve est un arbre, un éclat fugitif, un bruit de voix -;
un sentiment qui en toi commence et s'achève
est rêve ; un animal qui te regarde dans les yeux
est rêve ; un ange qui jouit de toi
est rêve. Rêve est le mot qui d'une douce chute
tombe dans ton sentiment comme un pétale
qui s'accroche à ta chevelure : lumineux, confus et las -,
lèves-tu seulement les mains : c'est encore le rêve qui vient,
et il y vient comme tombe une balle -;
tout, ou presque, rêve -, et toi, tu portes tout cela.
Tu portes tout cela. Et avec quelle beauté tu le portes.
Chargée de lui comme de ta chevelure.
Et cela vient des profondeurs, cela vient
des hauteurs jusqu'à toi et par ta Grâce...
Là où tu es, rien n'a attendu en vain,
nulle part autour de toi il n'est fait de tort aux choses
et c'est comme si j'avais déjà vu
que des animaux se baignent dans tes regards
et boivent à ta claire présence.
Mais ce que tu es : cela seul je l'ignore. Je sais
seulement chanter ta louange : cercle de légende
autour d'une âme, jardin autour d'une maison
dans les fenêtres de laquelle je vis le ciel -.
Ô tant de ciel, s'en allant, vu de si près ;
ô tant de ciel sur tant d'horizon.
Et quand c'est la nuit -: quelles grandes étoiles
ne peuvent manquer de se refléter dans ces fenêtres...


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