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[Braconnages] Œuvres complètes (T5 – 1977-1980) – Roland BARTHES

Disclaimer : Les braconnages sont des phrases glanées au fil de mes lectures et notées pour leur sonorité, ou bien leur sens, ou bien leur poésie. Ou parfois pour tout ça à la fois…

Les braconnages sur le début du livre sont à lire sur le billet « Fragments d’un discours amoureux« . Les autres textes sont Leçon, Sollers écrivain et La chambre claire.

  • La futilité qu’il met en scène resplendit du bonheur d’écrire.
  • Se souvenir passionnément, ce n’est pas rappeler une succession d’événements, c’est remémorer des inflexions.
  • Il n’y a pas d’écriture sans décision de générosité à l’égard du monde.
  • La littérature, assomption de matière verbale, doit multiplier les signes qui la distinguent du langage courant qui est, dit-on, celui de la simple communication.
  • Elle se conduit, cette route, comme une rivière paisible, parcourue de temps en temps par un vélomoteur ou un tracteur (ce sont là maintenant les vrais bruits de la campagne, finalement non moins poétiques que le chant des oiseaux : étant rares, ils font ressortir le silence de la nature et lui impriment la marque discrète de l’activité humaine), la route s’en va irriguer tout un quartier lointain du village.
  • Un signe, c’est ce qui se répète. Sans répétition, pas de signe, car on ne pourrait pas le RECONNAITRE et la reconnaissance, c’est ce qui fonde le signe. Or, note Stendhal, le regard peut tout dire mais il ne peut pas se répéter textuellement. Donc le regard n’est pas un signe, et cependant il signifie. Quel est ce mystère ? C’est que le regard appartient à ce règne de la signification dont l’unité n’est pas le signe (discontinu) mais la signifiance, dont Benveniste a esquissé la théorie.
  • J’éprouve à tracer les mots sur le papier une véritable jouissance plastique. (…) Tracer est pour moi du même ordre que peindre pour un peintre : écrire sort de mes muscles, je jouis d’une sorte de travail manuel ; je cumule deux « arts » : celui du texte et celui du graphisme.
  • On ne peut en même temps être amoureux et écrivain, il faut choisir et ce choix peut être dramatique.
  • La fonction de l’intellectuel étant d’aller toujours ailleurs quand « ça prend ».
  • … pendant longtemps je me suis senti déchiré d’une façon presque inavouable entre certains de mes goûts ou de ce que j’appelerais (…) mes lectures du soir (ce que je lis le soir) et qui sont toujours des livres classiques, et mon travail de la journée où, effectivement, sans aucune espèce d’hypocrisie, je me sentais extrêmement solidaire sur le plan théorique et critique de certains travaux de la modernité.
  • On n’est même jamais amoureux que d’une image. Le coup de foudre, ce que j’appelle le « ravissement », se fait par une image.
  • La science est grossière, la vie est subtile, et c’est pour corriger cette distance que la littérature nous importe.
  • Le réel n’est pas représentable et c’est parce que les hommes veulent sans cesse le représenter par des mots qu’il y a une histoire de la littérature.
  • Cette pratique d’amateur [le coloriage], bien des motifs, sans doute, la provoquent : peut-être le rêve d’être un artiste complet, peintre et écrivain, à la façon de certains hommes de la Renaissance ; peut-être l’envie d’étendre l’exercice de mon corps, de « changer de main » (même si c’est toujours la droite) ; peut-être la nécessité d’exprimer un peu de la pulsion qui est dans ce corps (on dit que la couleur, c’est d’une certaine manière la pulsion) ; (…) peut-être encore le soulagement (le repos) de pouvoir créer quelque chose qui ne soit pas directement dans le piège du langage, dans la responsabilité fatalement attachée à tout phrase : une sorte d’innocence, en somme, dont l’écriture m’exclut.
  • Cette projection [du lecteur dans un personnage de roman] est, je le crois, le ressort même de la littérature, mais dans certains cas marginaux, dès lors que le lecteur est un sujet qui veut lui-même écrire une oeuvre, ce sujet ne s’identifie plus seulement à tel ou tel personnage fictif, mais aussi et surtout à l’auteur même du livre lu, en tant qu’il a voulu écrire ce livre et y a réussi.
  • J’ai bien plus de 35 ans et ce qui me reste à vivre ne sera plus jamais la moitié de ce que j’aurai vécu.
  • Jackobson nous a fait un cadeau merveilleux : il a donné la linguistique aux artistes. C’est lui qui a opéré la jonction vivante et sensible entre l’une des sciences humaines les plus exigeantes et le monde de la création.
  • La parole et l’écriture sont largement hétérogènes. Ecrire ne consiste pas à transcrire, ça consiste à penser à même la phrase, à produire une pensée-phrase.
  • L’amour est la passion du manque.
  • Un moyen sûr permet de distinguer l’écrivance de l’écriture : l’écrivance se prête au résumé, l’écriture non.
  • Retrouvé un vieil ami : « Vous ne vieillissez pas. – Vous non plus. – Parce que nous avons toujours le même regard. » Le regard ne vieillit pas. Ceux qui vieillissent, c’est qu’ils n’ont pas ou n’ont plus de regard.
  • Ce que j’ai voulu dire, je ne pouvais pas le dire mieux qu’en écrivant et le redire en parlant tend à le diminuer.
  • Tricoter, c’est le geste même d’une certaine paresse, sauf si l’on est rattrapé par le désir de finir l’ouvrage. (…) Le tricot, voilà l’exemple d’une activité manuelle, minimale, gratuite, sans finalité, mais qui représente tout de même une belle paresse bien réussie. Il faudrait savoir aussi ce qu’est la paresse dans la vie moderne. (…) Je me demande d’ailleurs si chez nous, occidentaux et modernes, cela existe : ne rien faire.
  • L’écriture est une création ; et dans cette mesure-là, c’est aussi une pratique de procréation. C’est une manière tout simplement de lutter, de dominer le sentiment de la mort et de l’anéantissement intégral. (…) Quand on écrit, on dispense des germes, on peut estimer qu’on dispense une sorte de semence et que, par conséquent, on est remis dans la circulation générale des semences.
  • Le photographe est essentiellement témoin de sa propre subjectivité, c’est à dire que la façon dont il se pose, lui, comme sujet en face d’un objet.
  • La photo est un témoin, mais un témoin de ce qui n’est plus. Même si le sujet est toujours vivant, c’est un moment du sujet qui a été photographié et ce moment n’est plus.
  • Céline appartient à tout le monde. Il s’est trompé seulement parce qu’il portait un regard littéraire sur la réalité. Il transformait la réalité avec son langage.
  • Ecrire, c’est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l’écrivain, par un dernier suspens, s’abstient de répondre. La réponse, c’est chacun de nous qui la donne, en y apportant son histoire, son langage, sa liberté.
  • Bien écrire – désormais seul signe du fait littéraire – c’est naïvement changer un complément de place, c’est mettre un mot « en valeur », croyant obtenir par là un rythme expressif.
  • Cette écriture conventionnelle a toujours été un lieu de prédilection pour la critique scolaire qui mesure le prix d’un texte à l’évidence du travail qu’il a couté.
  • Dominique (de Fromentin) est un roman sans sexe (…) ; tout se noue, se déroule, se conclut en dehors de la peau ; dans le cours de l’histoire , il ne se produit que deux attouchements et l’on imagine quelle force de déflagration ils retirent du milieu sensuellement vide où ils interviennent. (…) Quant au rapport adultère (qui n’arrive à s’accomplir) il ne se produit qu’un baiser, celui que Madeleine accorde et retire au narrateur avant de le quitter à jamais : toute une vie, tout un roman pour un baiser. Le sexe est soumis ici à une économie parcimonieuse. Gommée, décentrée, la sexualité va ailleurs. Où ? Dans l’émotivité qui, elle, peut légalement produire des écarts corporels.
Acheter « Oeuvres complètes t.5 ».

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