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[Braconnages] Les règles de l’art / Pierre BOURDIEU

Disclaimer : Les braconnages sont des phrases glanées au fil de mes lectures et notées pour leur sonorité, ou bien leur sens, ou bien leur poésie. Ou parfois pour tout ça à la fois…

  • La revendication de l’autonomie de la littérature implique-t-elle que la lecture des textes littéraires soit exclusivement littéraire ?
  •  A tous ces défenseurs de l’inconnaissable, acharnés à dresser les remparts imprenables de la liberté humaine contre les empiètements de la science, j’opposerai ce mot, très kantien, de Goethe : « Notre opinion est qu’il sied à l’homme de supposer qu’il y a quelque chose d’inconnaissable, mais qu’il ne doit pas mettre de limite à sa recherche. »
  •  L’analyse scientifique des conditions sociales de la production et de la réception de l’oeuvre d’art, loin de la réduire ou de la détruire, intensifie l’expérience littéraire.
  •  C’est l’histoire des accidents structuralement nécessaires qui déterminent le vieillissement social en déterminant le téléscopage de possibles structuralement inconciliables que les doubles jeux de l’ « existence double » permettaient de faire coexister dans l’équivoque.
  •  Dans la réalité comme dans les romans, les personnages que l’on dit romanesques, et au nombre desquels il faut aussi compter les auteurs de romans, sont peut-être ceux qui prennent la fiction au sérieux, non, comme on dit, pour fuir le réel et chercher une évasion dans les mondes imaginaires, mais parce que (…) ils ne parviennent pas à prendre la réalité au sérieux ; parce qu’ils ne peuvent s’approprier le présent tel qu’il se présente, le présent dans sa présence insistante et, par là, terrifiante.
  •  Les romans industriels que l’on appelle aujourd’hui « best-sellers » semblent obéir (il faudrait vérifier l’hypothèse) à une logique strictement inverse de l’intention flaubertienne : peindre médiocrement l’extraordinaire, évoquer des situations et des personnages hors du commun mais selon la logique du sens commun, et dans le langage le plus quotidien, propre à en donner une vision familière.
  •  Les éditeurs ont tout à fait conscience que le succès d’un livre dépend du lieu de publication : ils savent reconnaitre ce qui est « pour eux » et ce qui ne l’est pas. (…) C’est en fonction de cette image que les auteurs choisissent l’éditeur qui les choisit en fonction de l’idée qu’il a lui-même de sa maison et les lecteurs font aussi intervenir dans leur choix d’un auteur l’image qu’ils ont de l’éditeur, ce qui contribue sans doute à expliquer l’échec des livres « déplacés ».
  •  L’artiste qui fait l’oeuvre est lui-même fait, au sein du champ de production, par tout l’ensemble de ceux qui contribuent à le « découvrir » et à le consacrer en tant qu’artiste « reconnu ».
  •  Le discours sur l’oeuvre n’est pas un simple adjuvant, destiné à en favoriser l’appréhension et l’appréciation, mais un moment de la production de l’oeuvre, de son sens et de sa valeur [à propos de l’art conceptuel].
  •  Le travail de fabrication matérielle n’est rien sans le travail de production de la valeur de l’objet fabriqué.
  •  Sans doute parce qu’ils sont protégés par la vénératiion de tous ceux qui ont été dressés, souvent dès leur prime jeunesse à accomplir les rites sacramentiels de la dévotion culturelle (le sociologue ne faisant pas exception), les champs de la littérature, de l’art et de la philosophie opposent de formidables obstacles, objectifs et subjectifs à l’objectivation scientifique.
  •  Les hommes cultivés sont dans la culture comme dans l’air qu’ils respirent.
  •  Sartre abolit la frontière entre philosophie littéraire et littérature philosophique, entre les effets de « littérarité » autorisées par l’analyse phénoménologique et les effets de profondeur assurés par les analyses existentielles du roman métaphysique (La Nausée ou Le Mur).
  •  A ceux qui pensent par alternatives simples, il faut rappeler qu’en ces matières la liberté absolue, qu’exaltent les défenseurs de la spontanéité créatrice, n’appartient qu’aux naïfs et aux ignorants.
  • L’histoire du roman, au moins depuis Flaubert, peut aussi être décrite comme un long effort pour « tuer le romanesque », selon le mot d’Edmond de Goncourt, c’est à dire pour purifier le roman de tout ce qui semble le définir, l’intrigue, l’action, le héros : cela depuis Flaubert et le rêve du « livre sur rien » ou les Goncourt et l’ambition d’un roman « sans péripéties, sans intrigue, sans bas amusement » jusqu’au Nouveau Roman et la dissolution du récit linéaire et, chez Claude Simon, la recherche d’une composition quasi-picturale (ou musicales) fondée sur les retours périodiques et les correspondances internes (…). Ce roman « pur » appelle de toute évidence une lecture nouvelle, jusque-là réservée à la poésie dont la limite « idéale » est l’exercice scolastique de déchiffrement ou de recréation fondé sur la lecture réitérée.
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