La note sensible / Valentine GOBY

— Publié dans

  • J’entrais dans ce moment où la pensée, épuisée, ne peut s’attacher à rien. Elle vagabonde, glisse d’une image à une autre, et semble s’évanouir. Je tombais dans le sommeil. J’étais à la lisière du rêve.
  • Tout s’est joué dans ces quelques secondes d’hésitation. Pousser ou tirer le verrou, quelque part entre la peur et le désir.
  • L’air frémissait du frottement des cordes, il y avait une tension sonore semblable aux minutes qui précèdent l’orage en été, un bourdonnement intense mêlé de cris de frayeur, un grondement venu du fond de la terre ; et tout à coup, comme de grandes mains plaquées  sur la bouche, les deux accords de l’ouverture [de Don Giovanni]. Ensuite, trois secondes de silence. J’avais le souffle court. Mon coeur battait à vide. Vendello me regardait. J’ai détourné les yeux ; les siens ne me quittaient pas. Le son des cordes est monté. Les violons haletaient tour à tour doux et violents, laissant présager dès les premières mesures la tragédie finale. Les cuivres et les cordes ont entamé un long dialogue. Ils se fondaient par moments ; puis ils se disputaient l’espace jusque dans mon ventre. Après plusieurs minutes, les violons se sont apaisés. J’étais épuisée. Vendello souriait.
  • Je n’avais jamais entendu de voix d’homme si profonde et si claire à la fois. C’était un fleuve ; son voyage de la source à la mer ; à peine un filet sous la roche, puis un ruisseau frémissant, une eau de rivière en tumulte, un fleuve lourd enfin dans la plaine, cherchant à se fondre dans la mer. Il s’est tu. J’étais comme liquide.
  • Les musiciens, c’est comme les jeunes mamans ; ça fait plaisir à voir. ça porte contre soi un peu de chevilles, d’âme et de colle de nerfs.
  • Tu es le demi-ton. Tu es l’entre-deux, la note suspendue, l’équilibre fragile. Tu es le vacillement qui contient la chute, tu es le fa dièse qui frôle le sol : un presque sol ; tu es la défaillance retenue d’extrême justesse, tu es le bord de l’abîme. Tu es ce qui pourrait être et qui n’est pas , tu es un possible. Tu es cette note en mouvement obligé vers une autre, qui voudrait se confondre avec elle et ne se confond pas. Tu es l’incertitude. Tu es la note sensible.

Acheter « La Note sensible »


Commentaires

Envie de réagir ? Laissez un commentaire !