Pause dans les billets sur l’écriture, voici mes braconnages dans l’ouvrage court d’André Comte-Sponville. Une introduction à la philosophie que je trouve plutôt abordable, bien écrite, qui donne l’impression d’une discussion à bâtons rompus avec l’auteur. Un bon ouvrage, à mon sens, pour aborder la philo autrement que de manière scolaire, pour réfléchir aussi sur soi, le monde et les autres…
La morale
- La philosophie n’est pas une science, ni même une connaissance, ce n’est pas un savoir de plus : c’est une réflexion sur les savoirs disponibles. C’est pourquoi on ne peut apprendre la philosophie, disait Kant : on ne peut qu’apprendre à philosopher. Comment ? En philosophant soi-même : en s’interrogeant sur sa propre pensée, sur la pensée des autres, sur le monde, sur la société, sur ce que l’expérience nous apprend, sur ce qu’elle nous laisse ignorer…
- Les sciences humaines ne diront jamais ce que vaut l’humanité, ni ce qu’elles valent. C’est pourquoi il faut philosopher : parce qu’il faut réfléchir sur ce que nous savons, sur ce que nous vivons, sur ce que nous voulons et qu’aucun savoir n’y suffit ou n’en dispense.
- La morale commence où nous sommes libres : elle est cette liberté même, quand elle se juge et se commande.
- La peur du gendarme est le contraire de la vertu, ou ce n’est vertu que de prudence.
- La morale, c’est la loi que je m’impose à moi-même ou que je devrais m’imposer, indépendamment du regard d’autrui et de toute sanction ou récompense attendues.
- « La morale, disait Alain, n’est jamais pour le voisin. »
- Il s’agit de se soumettre personnellement à une loi qui nous parait valoir, ou devoir valoir pour tous.
La politique
- La politique est la gestion non guerrière des conflits, des alliances et des rapports de force (…) à l’échelle de toute une société. C’est donc l’art de vivre ensemble, dans un même Etat, une même cité (polis en grec), avec des gens que l’on n’a pas choisis, pour lesquels on n’a aucun sentiment particulier et qui sont des rivaux, à bien des égards, autant ou davantage que des alliés.
- Ne pas faire de politique c’est renoncer à une part de ton pouvoir, ce qui est toujours dangereux, mais aussi à une part de ses responsabilités, ce qui est toujours condamnable.
- Etre solidaire, c’est défendre les intérêts de l’autre, certes mais parce qu’ils sont aussi – directement ou indirectement – les miens (c’est différent de la générosité qui suppose le désintéressement.
L’amour
- Il faut donc aimer l’amour ou n’aimer rien – il faut aimer l’amour ou mourir ; c’est pourquoi l’amour, non le suicide, est le seul problème philosophique vraiment sérieux.
- C’est l’amour qui fait vivre, puisque c’est lui rend la vie aimable. C’est l’amour qui sauve, c’est donc lui qu’il faut sauver.
- Qu’il faille s’aimer soi, par exemple, est une évidence : comment pourrait-on nous demander, sinon, d’aimer notre prochain comme nous-mêmes ?
- Eros est premier, toujours, et c’est ce que Freud, après Platon ou Schopenhauer, nous rappelle ; Agapè est le but (vers lequel nous pouvons au moins tendre) que les Evangélistes ne cessent de nous indiquer ; enfin Philia est le chemin ou la joie comme chemin : ce qui transforme le manque en puissance et la pauvreté en richesse.
La mort
- Penser la mort, c’est la dissoudre. Mais cela n’a jamais dispensé personne de mourir, ni ne l’a éclairé à l’avance sur ce que mourir signifiait.
- On ne vivra pas la même façon, on ne pensera pas de la même façon selon qu’on croit ou non qu’il y a « quelque chose » après la mort.
- Philosopher, ce n’est apprendre à mourir que parce que c’est apprendre à vivre et parce que la mort – l’idée de la mort, l’inéluctabilité de la mort – en fait partie.
- C’est ce à quoi l’idée de la mort peut servir : à rendre la vie plus acceptable, par l’espérance, ou plus irremplaçable, par l’unicité. Une raison, dans les deux cas, de ne la gaspiller point.
- Il faut donc penser la mort pour aimer mieux la vie – en tout cas pour l’aimer comme elle est : fragile et passagère – pour l’apprécier mieux, pour la vivre mieux.
La volonté
- Comment connaîtrions-nous les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes puisque les connaître c’est toujours les percevoir ou les penser comme elles sont pour nous ?
- L’Etat limite ta liberté ? Sans doute ; mais il limite aussi celle des autres, ce qui permet seule à la tienne d’exister valablement. Sans les lois, il n’y aurait que les violences et la peur.
- Mais est-on libre de vouloir ce qu’on veut ?
- Tu fais ce que tu veux ? Bien sûr ! Mais pourquoi le veux-tu ? Ta volonté fait partie du réel, elle est soumise, comme tout le reste, au principe de la raison suffisante (rien n’existe sans raison : tout s’explique), au principe de causalité (rien ne naît de rien : tout a une cause) et enfin du déterminisme général des êtres macroscopiques.
- Le libre arbitre, écrit Marcel Conche, c’est le pouvoir de se déterminer soi-même sans être déterminé par rien.
Dieu
- Dieu existe donc par définition : penser Dieu (le concevoir comme suprême, parfait, infini…), c’est le penser comme existant.
- Quand bien même elles démontreraient l’existence de quelque chose de nécessaire, d’absolu, d’éternel, d’infini… etc, elles échouent à prouver que ce quelque chose soit un Dieu au sens où l’entendent la plupart des religions : non seulement un être mais une personne, non seulement une réalité mais un sujet, non seulement quelque chose mais quelqu’un – non seulement un Principe mais un Père.
- Etre athée, c’est être sans dieu, soit parce qu’on se contente de ne croire en aucun, soit parce qu’on affirme l’inexistence de tous. Dans un monde monothéiste, on pourra en conséquence distinguer deux athéismes différents : ne pas croire en Dieu (athéisme négatif) ou croire que Dieu n’existe pas (athéisme positif voire militant). Absence d’une croyance ou croyance en une absence.
- Et l’agnostique ? C’est celui qui refuse de choisir. Très proche en cela de ce que j’appelle l’athéisme négatif, mais plus ouvert, c’est sa marque propre, à la possibilité de Dieu (…). L’agnostique, en matière de religion, est celui qui ignore si Dieu existe ou pas et qui s’en tient à cette ignorance.
- Le troisième argument peut surprendre davantage. Si je ne crois pas en Dieu, c’est aussi, et peut-être surtout, parce que je préférerais qu’il existe.
L’art
- Dans l’art, il ne s’agit pas d’imiter le beau, qui n’en a pas besoin, mais de le célébrer quand il est là, de le créer quand il fait défaut ou quand il passe inaperçu. C’est ce que la photo nous rappelle aujourd’hui. Le moindre cliché fait une imitation convenable. Mais combien sont de l’art ? Combien valent par eux-mêmes ?
- Les inventeurs font gagner du temps. Les artistes en font perdre et le sauvent.
- Imagine que Newton ou Einstein soient morts à la naissance. L’histoire des sciences, certes, en eût été changée mais dans son rythme davantage que dans son contenu, dans ses anecdotes davantage que dans son orientation. Ni la gravitation universelle ni l’équivalence de la masse et de l’énergie n’eussent été pour cela perdues : un autre, plus tard, les aurait découvertes et c’est en quoi il s’agit de découvertes, en effet, et non, là encore, de créations. Mais si Shakespeare n’avait pas existé, si Michel-Ange ou Cézanne n’avaient pas existé, nous n’aurions jamais eu aucune de leurs oeuvres ni rien qui puisse les remplacer.
Le temps
- Il faut que le temps soit, puisque rien, sans lui, ne pourrait être.
- Si l’avenir existait, il ne serait pas à venir : il serait du présent.
- Comment le temps serait-il à venir, puisqu’il est toujours déjà là, puisqu’il nous précède, puisqu’il nous accompagne, puisqu’il nous contient ?
- « Si bien que ce qui nous autorise à affirmer que le temps est, c’est qu’il n’est plus » Saint-Augustin.
- Le passé n’est plus, l’avenir n’est pas encore : il n’y a que le présent, qui est l’unique temps réel.
- Mais parce que l’éternité n’est rien d’autre, dans sa vérité, que le toujours – présent du réel et du vrai. Qui n’a jamais vécu un seul hier ? Un seul demain ? Nous ne vivons que des aujourd’hui et c’est ce qu’on appelle vivre.
- Ce n’est pas parce que l’être est dans le temps qu’il dure ; c’est parce qu’il dure qu’il est dans le temps.
L’homme
- Comment parler des droits de l’homme si l’on ne sait pas de quoi – ou de qui – on parle ? Il nous faut au moins un critère, un signe distinctif, une marque d’appartenance, ce qu’Aristote appellerait une différence spécifique. Laquelle ? L’espèce elle-même, à laquelle nous appartenons.
- Que la vie soit à ce point difficile, fragile, précieuse, dangereuse, comme elle est en effet, c’est une raison de plus pour philosopher le plus tôt possible, autrement dit pour apprendre à vivre, autant que faire se peut, avant qu’il ne soit trop tard.
- Voir les choses comme elles sont ; savoir ce qu’on veut. Ne pas se raconter d’histoires. Ne pas faire semblant.
- Ce n’est pas parce que le sage est plus heureux que nous qu’il aime la vie davantage. C’est parce qu’il l’aime davantage qu’il est plus heureux.
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