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[Braconnages] N’espérez pas vous débarasser des livres / Jean-Claude CARRIERE & Umberto ECO

Disclaimer : Les braconnages sont des phrases glanées au fil de mes lectures et notées pour leur sonorité, ou bien leur sens, ou bien leur poésie. Ou parfois pour tout ça à la fois…

Un livre court en forme de conversations entre Umberto Eco et Jean-Claude Carrière, un dialogue lumineux, parfois drôle, souvent profond, plein de bon sens, qui pose des questions sur le livre, notre rapport à la lecture et au livre, comme objet de savoir ou de divertissement.

  • Les pratiques et les habitudes coexistent et nous n’aimons rien tant qu’élargir l’éventail des possibles.
  • Ce que nous appelons la culture est en réalité un long processus de sélection et de filtrage.
  • Dans tel domaine de l’expression créatrice, avons-nous recueilli les pépites ou la base ?
  • Au regard des trésors de nullité qu’abritent nos bibliothèques, saurons-nous relativiser ces immenses pertes du passé, ces assassinats volontaires ou non de notre mémoire, pour nous satisfaire de ce que nous avons conservé et que nos sociétés, bardées de toutes les technologies du monde, cherchent encore à mettre en lieu sûr sans y parvenir durablement ?
  • Plus que jamais nous réalisons que la culture est très précisément ce qui reste quand tout a été oublié.
  • L’être humain est une créature proprement extraordinaire. Il a découvert le feu, bâti des villes, écrit de magnifiques poèmes, donné des interprétations du monde, inventé des images mythologiques etc… Mais en même temps, il n’a cessé de faire la guerre à ses semblables, de se tromper, de détruire son environnement, etc… La balance entre la haute vertu intellectuelle et la basse connerie donne un résultat à peu près neutre.
  • L’erreur est humaine dans la mesure où elle appartient à ceux-là seuls qui cherchent et qui se trompent.
  • Les variations autour de l’objet livre n’en ont pas modifié la fonction, ni la syntaxe, depuis plus de 500 ans. Le livre est comme la cuiller, le marteau, la roue ou le ciseau. Une fois que vous les avez inventés, vous ne pouvez pas faire mieux. (…) Le livre a fait ses preuves et on ne voit pas comment, pour le même usage, nous pourrions faire mieux que le livre. Peut-être évoluera-t-il dans ses composantes ; peut-être ses pages ne seront-elles plus en papier. Mais il demeurera ce qu’il est.
  • Hermann Hesse : « Plus, avec le temps, les besoins de distractions et d’éducation populaire pourront être satisfaits par des inventions nouvelles, plus le livre regagnera de sa dignité et de son autorité. »
  • Nous n’avons jamais eu autant besoin de lire et d’écrire que de nos jours. Nous ne savons pas nous servir d’un ordinateur si nous ne savons pas lire et écrire.
  • Il n’y a rien de plus éphémères que les supports durables.
  • Nous pouvons encore lire un texte imprimé il y a cinq siècles. Mais nous ne pouvons plus lire , nous ne pouvons plus voir une cassette électronique ou un cédérom vieux de quelques années à peine. A moins de conserver nos vieux ordis dans la cave.
  • Les raisons pour lesquelles les livres brûlaient étaient en même temps celles qui vous invitaient à les mettre en lieu sûr et à les collectionner. (…) Mais en même temps, naturellement, en faisant le choix de sauver certains livres et pas d’autres, on a commencé à filtrer.
  • A chaque fois qu’une nouvelle technique apparait, elle veut faire la démonstration qu’elle dérogera aux règles et contraintes qui ont présidé à la naissance de toute autre invention dans le passé.
  • La technique n’est en aucune façon une facilité. C’est une exigence.
  • « Je ne veux pas redire ce que j’ai mieux fait autrefois » (Levi-Strauss)
  • La plupart de nos inventions sont la réalisation de rêves anciens de l’humanité.
  • Le futur ne tient pas compte du passé, mais pas davantage du présent. (…) L’avenir est comme toujours incertain et le présent progressivement se rétrécit et se dérobe.
  • Nous ne vivons plus un présent placide mais nous sommes dans l’effort de nous préparer constamment au futur.
  • La culture, c’est cette sélection. La culture contemporaine au contraire, via Internet, nous abreuve de détails à propos de toutes les Calpurnia de cette planète.
  • Comment fabriquer notre mémoire en sachant que cette mémoire est une question de choix, de préférences, de mises à l’écart, d’omissions volontaires et involontaires ?
  • Lorsque notre prothèse saura tout, absolument tout, que devrons-nous apprendre encore ? L’art de la synthèse. Et l’acte même d’apprendre. Car apprendre s’apprend. Apprendre à contrôler une information dont nous ne pouvons pas vérifier l’authenticité (…). Il s’agit d’exercer un sens critique face à Internet, d’apprendre à ne pas tout accepter comme argent comptant.
  • Chaque livre publié aujourd’hui est un post-incunable.
  • Il y a deux sortes de livres. Le livre que l’auteur écrit et celui dont le lecteur prend possession. Pour moi le personnage intéressant est aussi celui qui le possède.
  • Les correspondants français sont les derniers du monde à écrire à la main.
  • Ce qui me manque, avec les ordinateurs, ce sont les brouillons. Surtout pour les scènes dialoguées. Il me manque ces ratures, ces mots jetés en marge, ce premier désordre, ces flèches qui partent dans tous les sens et qui sont une marque de vie, de mouvement, de recherche encore confuse. Et autre chose : la vision d’ensemble.
  • Je débute toujours un nouveau livre par des notes écrites. Je fais des croquis, des diagrammes, qui ne sont pas faciles à réaliser avec l’ordinateur.
  • Au moment de reporter les corrections sur l’ordinateur, j’aurais certainement pris des libertés et modifié davantage encore. Donc entre le texte que j’ai corrigé et la version qui, sur l’ordinateur, aura intégré ces corrections, il y a une version fantôme qui est la véritable version C.
  • Sont dits « incunables » tous les livres imprimés à partir de l’invention de l’imprimerie et jusqu’à la nuit du 31 décembre 1500.
  • Le faux questionne toute tentative de fonder une théorie de la vérité.
  • Dans la Poétique, Aristote cite une vingtaine de tragédies que nous ne connaissons plus. Le véritable problème est le suivant : pourquoi seulement les oeuvres de Sophocle et d’Euripide ont-elles survécu ? Etaient-elles les meilleures, les plus dignes de passer à la postérité ?
  • Chaque lecture modifie le livre, comme les événements que nous traversons. Un grand livre reste toujours vivant, il grandit et vieillit avec nous, sans jamais mourir.
  • Le crétin ne nous intéresse pas. C’est celui qui amène sa cuillère vers son front au lieu de viser sa bouche, c’est celui qui ne comprend pas ce que vous lui dîtes. Son cas est vite réglé (…). L’imbécile est celui qui va dire ce qu’il ne devrait pas dire à un moment déterminé. Il est l’auteur de gaffes involontaires. Le stupide est différent, son défaut n’est pas social mais logique. A première vue on a l’impression qu’il raisonne de façon correcte. Il est difficile de reconnaître du premier coup ce qui ne colle pas. C’est pourquoi il est dangereux.
  • Pour pouvoir accepter l’idée de notre fin, il [fallait] se convaincre que tous ceux qui restaient après nous étaient des cons et qu’ils ne valaient pas la peine de passer plus de temps avec eux.
  • Si un con vous dit que tous les autres sont cons, le fait qu’il soit un con n’empêche pas qu’il vous dise peut-être la vérité. Si maintenant il ajoute que tous les autres sont des cons « comme lui », alors il fait preuve d’intelligence. Ce n’est donc pas un con. Parce que les autres passent leur vie à faire oublier qu’ils le sont.
  • L’école en France est gratuite, mais elle est aussi obligatoire pour tous. Ce qui veut dire que la République se doit d’apprendre la même chose à tous les citoyens, sans restrictions, tout en sachant très bien qu’une majorité va décrocher en route, le but du jeu étant en définitive, par sélection, de former les élites qui dirigeront le pays.
  • Etre cultivé ne signifie pas nécessairement être intelligent. Mais aujourd’hui tous les gens veulent se faire entendre et, fatalement, ils font entendre dans certains cas leur simple bêtise. Alors disons qu’une bêtise d’autrefois ne s’exposait pas, ne se faisait pas connaître, alors qu’elle vitupère de nos jours.
  • Cette obsession d’effacer toutes les traces écrites dit assez combien, pour l’envahisseur, un peuple sans écriture est à jamais un peuple maudit.
  • Nous voyons chaque jour à quel point l’image peut être trompeuse. Il s’agit de falsifications subtiles d’autant plus difficiles à discerner qu’elles se présentent comme des « images », c’est à dire comme des documents.
  • Tout cela pour dire que l’image, où nous voyons souvent autre chose que ce qu’elle montre, peut mentir d’une manière encore plus subtile que le langage écrit ou que la parole. Si nous devons garder une certaine intégrité de notre mémoire visuelle, il faut absolument apprendre aux générations futures à regarder les images.
  • C’est le retour de Shiva. Je vous ai parlé de deux mains sur quatre : tout ce qui est né sera détruit. Mais la troisième main fait le geste de ABAYA qui veut dire « pas de peur » car – quatrième main – « grâce à la force de mon esprit j’ai déjà décollé un de mes pieds du sol ».
  • Créer une oeuvre, la publier, la faire connaître n’est pas forcément le meilleur moyen de passer à la postérité. (…) Mais si l’on n’a pas la capacité de créer, alors il reste la destruction, d’une oeuvre d’art ou parfois de soi-même.
  • Le monde est donc plein de livres que nous n’avons pas lu mais dont nous savons à peu près tout. La question est donc de savoir comment nous connaissons ces livres.
  • Durant des années vous avez lu un tas de livres qui citaient ce livre-là, lequel a fini par vous devenir familier.
  • Il y a probablement chez chacun de nous l’idée de mettre de côté, de placer quelque part des livres avec lesquels nous avons un rendez-vous, mais plus tard, beaucoup plus tard, peut-être même dans une autre vie.
  • Tu lis pour savoir ce qu’il y a dans le livre que tu lis ou pour l’amour de lire ?
  • Une bibliothèque n’est pas forcément constituée de livres que nous avons lus ou même que nous lirons un jour, il est en effet excellent de le préciser. Ce sont des livres que nous pouvons lire. Ou que nous pourrions lire. Même si nous ne les lirons jamais (…). C’est une sorte de cave à vin : il n’est pas utile de tout boire.
  • Vous avez votre livre et vous êtes entouré par tous les livres du monde. Vous avez à la fois le détail et l’ensemble .
  • Rien n’est plus difficile que de ranger une bibliothèque. A moins de commencer par mettre un peu d’ordre dans le monde.
  • Tous ces livres que vous n’avez pas lus vous promettent quelque chose.
  • Combien de nous ne sont pas nourris du simple parfum des livres qu’on voyait sur les rayons mais qui n’étaient pas les nôtres ?
  • Elle [votre bibliothèque] parle de vous peut-être tout aussi bien que vos propres ouvrages. (…) L’éclectisme qui a présidé à la constitution de ma bibliothèque parle de moi tout aussi bien.
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