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L’élégance du hérisson / Muriel BARBERY

  • Ce qui ne va pas, c’est que les enfants croient aux discours des adultes et que, devenus adultes, ils se vengent en trompant leurs propres enfants. « La vie a un sens que les grandes personnes détiennent » est un mensonge universel auquel tout le monde est obligé de croire. Quand, à l’âge adulte, on comprend que c’est faux, il est trop tard. Le mystère reste intact mais toute l’énergie disponible a été depuis longtemps gaspillée en activités stupides. Il ne reste plus qu’à s’anesthésier comme on peut en tentant de masquer le fait qu’on ne trouve aucun sens à sa vie et on trompe ses enfants pour tenter de mieux se convaincre soi-même.
  • Les gens croient poursuivre les étoiles et ils finissent comme des poissons rouges dans un bocal.
  • Je pense à la beauté dans le monde, à ce qui peut nous élever dans le mouvement de la vie.
  • Je ne sais pas très bien comment expliquer ça, mais quand nous nous déplaçons, nous sommes en quelque sorte déstructurés par ce mouvement « vers » : on est à la fois là et en même temps pas là parce qu’on est déjà en train d’aller ailleurs.
  • Il me semble un jour embrasser la totalité du savoir, comme si d’invisibles ramifications naissaient soudain et tissaient entre elles toutes mes lectures éparses — puis brutalement, le sens se dérobe, l’essentiel me fuit et j’ai beau relire les mêmes lignes, elles m’échappent chaque fois un peu plus tandis que je me fais l’impression d’une vieille folle qui croit son estomac plein d’avoir lu attentivement le contenu.
  • Lorsque la maladie entre dans un foyer, elle ne s’empare pas seulement d’un corps mais tisse entre les coeurs une sombre toile où s’ensevelit l’espoir.
  • Que le silence serve à aller à l’intérieur, qu’il soit nécessaire pour ceux qui ne sont pas interessés que par la vie au dehors, je ne crois pas qu’elle puisse le comprendre parce que son intérieur à elle est aussi chaotique et bruyant que l’extérieur de la rue.
  • Oui, c’est agréable, car nous jouissons d’une double offrande, celle de voir consacrée par cette rupture dans l’ordre des choses l’immuabilité d’un rituel que nous avons façonné ensemble pour que, d’après-midi en après-midi, il s’enkyste dans la réalité au point de lui donner sens et consistance et qui, d’être ce matin transgressé, prend soudain toute sa force — mais nous goûtons aussi comme nous l’eussions fait d’un  nectar précieux le don merveilleux de cette matinée incongrue où les gestes machinaux prennent un nouvel essor, où humer, boire, reposer, servir encore, siroter revient à vivre une nouvelle naissance. Ces instants où se révèle à nous la trame de notre existence, par la force d’un rituel que nous reconduirons avec plus de plaisir encore de l’avoir enfreint, sont des parenthèses magiques qui mettent le coeur au bord de l’âme, parce que, fugitivement, mais intensément, un peu d’éternité est soudain venu féconder le temps.
  • Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffinées, cette licence donnée à chacun à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût parce que le thé est la boisson des riches comme elle est celle des pauvres, le rituel du thé, donc, a cette vertu extraordinaire d’introduire dans l’absurdité de nos vies une brèche d’harmonie sereine. Oui, l’univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l’insignifiance nous encercle. Alors, buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle au dehors, les feuilles d’automne bruissent et s’envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et, dans chaque gorgée, se sublime le temps.
  • Ce qui m’a toujours plu dans ce passage, c’est la césure, le balancement de la guerre et de la paix, ce flux et ce reflux dans l’évocation, comme la marée sur la grève emporte et rapporte les fruits de l’océan.
  • En une fraction d’éternité, tout change et se transfigure.
  • Vivre, mourir : ce ne sont que des conséquences de ce qu’on a construit. Ce qui compte, c’est de bien construire.
  • Il faut vivre avec cette certitude que nous vieillirons et que ça ne sera pas beau, pas bon, pas gai. Et se dire que c’est maintenant qui importe : construire, maintenant, quelque chose, à tout prix, de toutes ses forces. Toujours avoir en tête la maison de retraite pour se dépasser chaque jour, le rendre impérissable. Gravir pas à pas son Everest à soi et et le faire de telle sorte que chaque pas soit un peu d’éternité.
  • L’insu est la marque la plus éclatante de la force de notre volonté consciente qui, lorsque notre émotion s’y oppose, use de toutes les ruses pour parvenir à ses fins.
  • C’est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent.
  • Quand ai-je pour la première fois ressenti cet abandon exquis qui n’est possible qu’à deux ? La quiétude que nous éprouvons lorsque nous sommes seuls, cette certitude de nous-mêmes dans la sérénité de la solitude ne sont rien en comparaison du laisser-aller, laisser-venir et laisser-parler qui se vit avec l’autre, en compagnie complice…

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