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Le Vent des Lumières : un extrait inédit !

Pour célébrer le #RaysDay – fête des livres, des auteurs et des lecteurs le 22 août, date anniversaire de la naissance de Ray Bradbury (l’auteur de Fahrenheit 451), je vous propose en avant-première un extrait de mon roman historique Le Vent des Lumières à paraître à la rentrée.

La bibliothèque du roi Louis XVI dans les Petits appartements au château de Versailles.

Chapitre 32

Louis XVI aimait causer avec Éléonore de Flogeac dans l’intimité de sa bibliothèque. Il la recevait alors en privé, sans fioritures, souvent bien avant le grand lever protocolaire qui avait lieu plus tard dans la matinée.

— Vous me soumettez là une fort étrange requête, madame, dit doucement le roi sans la regarder, concentré sur une carte marine. Cela dit, vous m’avez habitué à vos fantaisies…

Il souriait. Éléonore, très droite, serrait ses mains l’une contre l’autre nerveusement. Jamais un entretien avec le roi ne l’avait mise dans cet état. Louis XVI l’observait maintenant, un brin pensif, en se disant que cette femme recelait décidément de nombreuses facettes. Il l’avait rencontrée épouse triomphante d’un duc armateur, puis elle était revenue veuve éplorée et mère comblée, avant de se montrer redoutable en affaires et admirable comédienne sous le costume d’homme dans lequel elle s’était glissée avec son aval…

Et voilà qu’elle lui parlait d’aller aux Isles pour juger de visu de l’impact de l’arrêt du maréchal de Castries rétablissant le régime de l’Exclusif mitigé.

Le ministre de la Marine s’était longuement documenté pour le préparer, avec l’intendant général des colonies De Vaivre. Il avait consulté Bouillé, administrateur général des colonies, le président Peinier, l’intendant du commerce extérieur et maritime La Porte et les quatre députés du commerce de Saint-Malo, Marseille, Saint-Domingue et la Martinique.

L’arrêt, qui ne serait diffusé qu’en novembre, créait sept ports d’entrepôts, dont trois à Saint-Domingue, où les navires d’au moins soixante tonneaux seraient admis avec les produits déjà autorisés, en plus du charbon de terre et des salaisons de bœuf. Castries espérait ainsi mettre fin à la liberté commerciale qui régnait de facto depuis 1765, les bureaux constatant chaque année que tous les ports d’amirauté, contrairement aux instructions royales, étaient restés ouverts en permanence aux navires étrangers.

— Le traité commercial de l’an passé avec les États Unis d’Amérique n’a donc pas amélioré les choses ? s’enquit le roi.

— Il a surtout suscité bien des illusions qui se sont vite effondrées, répondit Éléonore, fataliste. La plupart des négociants français s’est montrée incapable de s’adapter à une situation nouvelle. Les Américains se sont vite retournés vers leur ancienne métropole, la communauté de langue, de goûts et d’habitudes aidant.

— Mais le commerce entre Bordeaux et l’Amérique ne cesse pourtant d’augmenter, observa le roi.

— Oui, il existe des échanges directs entre la France et l’Amérique, mais ils sont minoritaires. Seules les importations de riz de Caroline, d’indigo, de bois, de grains et de farines augmentent. Les exportations restent très faibles et concernent surtout les vins de Bordeaux… Ce dont je ne saurais me plaindre à Votre Majesté qui verra là mon désintérêt dans la mission que je lui propose de me donner.

Louis XVI leva un œil fâché sur Éléonore.

— Vous donnez à votre roi de bien vilaines pensées, gronda-t-il. Je ne vous ai jamais soupçonnée d’agir par intérêt…

— Oh ! J’y trouve aussi mon compte, rétorqua la jeune femme. La fortune commerciale bordelaise n’a jamais été aussi importante. Mais les difficultés vont croissant, entre la désagrégation de l’Exclusif, l’impossibilité de limiter le commerce des étrangers et le commerce avec les Isles qui devient aussi moins rentable…

— Pourquoi ?

— Parce que le commerce colonial s’émancipe, Sire, et que la concurrence augmente…

Louis XVI hocha la tête en se frottant le menton. Il désigna la carte marine qu’il tenait, l’étalant sur le bureau pour y tracer, du bout de l’index, un itinéraire invisible.

— Madère, l’île de la Trinité, les Sandwich du Sud, le Pacifique, l’île de Pâques, Tahiti, les Tongas. Ici, la Nouvelle Calédonie, l’Australie, contournée par le nord, l’ouest et le sud. De là, on gagne le havre de la Reine-Charlotte, entre les deux îles de la Nouvelle-Zélande. Route plein ouest jusqu’à Monterey, puis le golfe d’Alaska, le Kamtchatka, le Japon et enfin l’océan Indien… Voyez toutes ces côtes à explorer, à découvrir, pour en fixer la géographie, les coordonnées, commentait Louis XVI d’un air exalté pour le moins surprenant. Je voudrais parfois pouvoir faire comme vous, madame de Flogeac, me glisser dans la peau d’un armateur et faire ce voyage que d’autres feront en mon nom…

— Votre Majesté projette donc de réitérer l’expédition que M. de Bougainville fît dans ces contrées inexplorées ? demanda Éléonore.

— Bien plus que cela, madame, bien plus que cela ! renchérit Louis XVI d’un air de conspirateur. L’aspect scientifique de la mission n’exige point le secret, mais son caractère commercial l’impose pour le moment. C’est un voyage sans précédent que je prépare. Le capitaine qui guidera ces navires aura des directives très précises sur ce qu’il doit recenser, observer, noter, y compris les peuples que nous ne connaissons pas encore et les territoires où jamais personne n’a mis les pieds…

Éléonore sourit. Elle n’avait jamais vu cette lumière passionnée sur le visage placide du roi.

— Il y a deux parties dans ce voyage, le commerce et les reconnaissances, continuait-il, infatigable. La première vise la pêche à la baleine dans l’océan méridional au sud de l’Amérique et du cap de Bonne-Espérance ; la seconde est la traite des pelleteries dans le nord-ouest de l’Amérique pour être transportées en Chine et, si l’on peut, au Japon. Quant à la partie des reconnaissances, elle concerne la partie nord-ouest de l’Amérique, les mers du Japon, les îles Salomon et la zone située au sud-ouest de la Nouvelle Hollande…

Il connaissait vraiment bien son sujet, soucieux de protéger à la fois la santé des équipages qui accompliraient ce fabuleux voyage et les croyances des peuplades qu’ils croiseraient.

— Cependant, revenons à nos moutons, madame, interrompit brusquement Louis XVI, comme s’il redescendait sur terre. Vous souhaitez donc vous rendre officiellement à Saint-Domingue ?

— Oui, Sire, répondit Éléonore, surprise de ce soudain revirement. Je voudrais en profiter pour étudier les possibilités d’installer des liaisons régulières entre les Isles et les Amériques afin d’acheminer avec mes bateaux des produits dont les colons ont besoin et qu’ils ne trouvent pour le moment que grâce à l’interlope…

— Je vois, fit le monarque avec un clin d’œil entendu. Vous voulez doubler la contrebande en volant sa clientèle : puisque les navires français ne sont pas concernés par l’Exclusif, vous pouvez transporter des denrées coloniales en Amérique et vice-versa… Mais, dîtes-moi, madame de Flogeac, qu’êtes-vous donc venue chercher en m’entretenant de cela ? La bénédiction du roi ?

— En quelque sorte, répondit Éléonore en baissant la tête brièvement. Je ne voulais pas partir sans en avertir le roi… Et je voulais également demander une faveur à Votre Majesté.

— Je vous écoute, madame, répondit Louis XVI avec douceur. Mais elle est déjà accordée.

Le regard de la jeune femme rencontra celui du souverain, plein d’une majesté généreuse qu’il savait très bien revêtir quand il le fallait. Le roi se révélait là sous son vrai jour : sous ses airs bonhommes, il était d’abord un homme qui savait reconnaître la valeur des êtres qui l’entouraient. À ceux qui lui étaient fidèles, il témoignait une gratitude sans partage.

— Je ne peux pas emmener mon fils Alexandre avec moi, commença Éléonore. Je voudrais le placer sous la protection de Votre Majesté et…

— Je vais faire mieux que cela, coupa Louis XVI. Si je ne m’abuse, votre fils a peu ou prou le même âge que le Dauphin ; or, il manque d’un compagnon de jeux. Il sera heureux de compter le jeune duc de Flogeac dans sa Maison. Dans quelques années, je le ferai entrer à l’école des pages.

L’école des pages n’était accessible qu’aux enfants de très haute noblesse, ce à quoi Alexandre de Flogeac pouvait prétendre sans problème. Mais y accéder sur privilège du roi constituait une faveur très prisée.

— Votre Majesté m’honore, balbutia Éléonore en plongeant dans une révérence que le roi interrompit.

— Vous méritez ma générosité, assura-t-il avec un bon sourire. Allez, maintenant.

Éléonore s’inclina respectueusement et mit la main sur le bouton de la porte mais le roi l’arrêta de nouveau, comme traversé par une pensée impromptue.

— Une dernière chose, madame, si vous permettez au roi une indiscrétion…

— Ma vie appartient à Votre Majesté.

— Je suis curieux de connaître vos véritables motivations, questionna Louis XVI sur un ton secret où perçait une certaine malice. De vous à moi, je ne crois pas une seconde qu’une personne aussi sensée que vous, avec votre charge, votre rang et votre fortune, décide de courir les mers du jour au lendemain simplement pour vérifier les rouages du commerce colonial…

Éléonore retint un éclat de rire. Elle se doutait bien que le souverain ne serait pas dupe.

— Ma réponse semblera bien simpliste à Votre Majesté, en tout cas bien inadéquate avec le caractère qu’Elle me donne, répondit doucement la jeune femme. Disons que… l’amour détraque l’admirable machine humaine que nous sommes.

Le sourire du monarque s’élargit à son tour, tandis qu’il lui ouvrait la porte. Ainsi, la vertueuse Éléonore de Flogeac avait succombé aux flèches de Cupidon ?

— C’est bien, c’est bien, commenta le roi, content. Revenez-nous vite, madame.

— Merci, Sire. Merci pour tout.

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2 réponses sur « Le Vent des Lumières : un extrait inédit ! »

Bel extrait, entre un langage d’epoque finement adapté et nos préoccupations actuelles. La part des sentiments ressort bien dans le dialogue, sans pour autant peser. Merci, Lynda !

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